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vendredi, 15 novembre, 2024

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Mali : nos routes, miroir de nos laideurs

A Bamako, se rendre au travail le matin et rentrer à la maison le soir est devenu un exercice déprimant. Sur le mouchoir de poche qui nous tient lieu de routes, on roule serré comme des harengs en caque. Les files de voitures, qui atteignent souvent trois s’il n’y a pas de corps habillé pour assurer la police. Les motocyclistes qui sont en permanence pressés, mais, grande déception, qu’il ne faut pas être surpris de les retrouver assis quelque part pour prendre du thé. Et n’ont de respect pour personne. Grognon, je-m’en-fichiste, violent, orgueilleux : tel pourrait être le portrait du conducteur au Mali, qu’il soit en voiture ou à moto. C’est dire combien nos routes ont basculé dans quelque chose d’irrémédiable, d’inquiétant, d’énervant et de décevant. Pourquoi les files de voitures sont interminables tous les soirs et matins sur le pont Fahd ? Réponse lapidaire et suffisante du taximan : « Parce qu’on ne sait pas conduire ». Ce qui n’est pas faux, surtout lorsqu’on sait que sous nos latitudes un permis de conduire est ce qui s’acquiert le plus facilement, tout passant par le piston, le pot de vin. Conséquence : sur nos routes, la vie humaine est ce qu’il y a de moins sacrée. Les accidents de circulation se banalisent, des vies sont brutalement abrégées, mises en miettes. C’est à cela que se résume désormais le quotidien des usagers à Bamako et à l’intérieur du pays, alors que ceux à qui il revient la charge d’apporter une réponse semblent somnoler dans le marécage de l’indifférence, le gouffre du mépris pour le peuple.

Dans son magistral Toiles d’araignées, Ibrahima Ly, que l’on a pu soupçonner de tout sauf de se cacher derrière son petit doigt, a posé le problème d’une façon inquiétante : il faut rééduquer le peuple. C’est le problème auquel nous ferons face pendant les années à venir, et qu’il nous faudra régler si tant est que nous ne voulons pas avoir à gérer une autre crise qui va davantage mettre en péril notre ADN. Rééduquer le peuple, c’est aussi lui apprendre à se comporter partout, mais surtout sur nos routes. Car, disons-le de façon claire, nos routes sont devenues le tombeau des valeurs qui nous permettent jusqu’ici de ne pas perdre la face après avoir tout perdu. Tout, jusqu’à notre dignité de pays ayant un passé glorieux dont on aime si bien se prévaloir. Ce qu’on y montre, tous les matins, tous les soirs, n’augurent rien de bon pour l’avenir immédiat. Des Maliens insultent, tuent des Maliens, s’étripent, se regardent en chien de faïence. Sur la route de Kalabancoro, qui mène à la nouvelle université de Kabala, ce sont deux étudiants et un professeur qui sont morts sous les pneus de camions à benne. Les autorités ont-elles le culot de nous dire qu’elles n’y peuvent rien ?

Rééduquer le peuple. En Algérie, dans ses discours après l’indépendance, Ahmed Ben Bella lançait à ses concitoyens : « Ne crachez pas par terre ! D’abord, c’est sale, ensuite, c’est comme si vous crachiez sur votre pays ». Il est difficile de ne pas dire que de telles exhortations sont nécessaires aujourd’hui au Mali, 57 après l’indépendance, pour gagner la bataille de l’hygiène surtout nos routes qui s’enduisent tous les jours d’une saleté inacceptable. On y jette tout : des dames patronnesses, fonctionnaires et que sais-je encore baissent la vitre du véhicule pour jeter qui une bouteille de sucrerie, qui un sachet d’eau…Pour faire court, la vérité est que dans ce pays, il y a un besoin urgent et pressant de loi et d’ordre. Parce que tout se passe comme si le pouvoir n’avait pas de pouvoir, d’autorité. En attendant, nos routes sont devenues le miroir de nos laideurs.

Sidi Ahmed S.

Les points de vue exprimés dans l’article sont ceux de l’auteur et ne reflètent pas nécessairement ceux  de Sahelien.com.