Le Mali fait face à une crise multidimensionnelle importante, qui mobilise depuis plus de sept ans les autorités du pays et la communauté internationale. Cette crise est à présent exacerbée par la pandémie de Covid-19 et ses conséquences économiques désastreuses pour le monde entier et la contestation en cours dans le pays auquel fait face le pouvoir.
Depuis plusieurs semaines, des manifestations sans précédent sont organisées pour demander la démission du Président Ibrahim Boubacar Keïta, ainsi que la dissolution de toutes les institutions du pays. Cette revendication est portée par le Mouvement du 5 juin- Rassemblement des forces patriotiques (M5-FRP) dont le mot d’ordre tranche avec celui de la Convergence des forces républicaines (CFR) qui soutient les institutions.
La mobilisation actuelle est partie de la contestation des résultats des élections législatives de mars et avril 2020 sur fond de mécontentements liés à la dégradation de la situation sécuritaire dans le pays et la gestion erratique de la crise sanitaire.
En réalité, elle est surtout symptomatique du profond malaise social que le pays connaît depuis de nombreuses années. Elle est aussi l’expression d’une colère ambiante présente dans le pays qui repose sur des sentiments de déception, de mécontentement, et de frustration d’une gouvernance en quête de résultats. La défiance envers les autorités politiques n’a jamais été aussi forte, signe d’une forme d’érosion « mécanique » du pouvoir.
Au regard de la situation globale du Mali, peu reluisante, nous, citoyens maliens et amis du Mali, lançons un appel solennel à l’ensemble des acteurs politiques et de la société civile, y compris ceux du M5-RFP et de la CFR ainsi qu’à l’ensemble du peuple malien, à un sursaut national afin de préserver l’existence de l’État du Mali et de sa démocratie.
Le Mali fait face à plusieurs défis dont les solutions ne peuvent émerger qu’à travers la mise en commun des intelligences, mais également dans une unité d’action de riposte contre l’insécurité, la crise sociale et sanitaire.
Nous comprenons et entendons les inquiétudes. Nous savons l’angoisse des lendemains difficiles des chefs de famille. Nous pensons à ces villages détruits, isolés et désolidarisés ainsi qu’à toutes ces vies brisées. Nous sommes solidaires des personnes malades et dont la santé est fragile. Nous partageons la peine de toutes ces personnes ayant perdu une fille ou un fils au combat. Nous sommes inquiets de l’avenir de millions de jeunes au chômage et parfois déscolarisés. Nous craignons les conséquences de la Covid-19 et de la progression de l’insécurité alimentaire.
Face à ce constat, le Mali ne peut se permettre une nouvelle crise visant le cœur de ses structures institutionnelles. Le pays se doit de continuer à exister avec unité sur le plan national mais également sur le plan régional et international avec ses institutions réorganisées. Le Mali reste un acteur majeur de la sous-région ouest africaine à travers notamment la CEDEAO et l’UEMOA dont il est la 3ème économie. Le pays est également un pilier important de l’Union africaine, dont il est membre fondateur. Ces acquis doivent demeurer et être préservés avec des pistes d’amélioration.
- Nous sommes conscients, que chaque malienne, chaque malien et chaque ami (e) du Mali porte en elle, en lui, une colère face à la situation actuelle et la lenteur des résultats. Mais, c’est aussi le moment de renforcer les liens et non de les défaire.
- Nous appelons encore une fois à construire ensemble une profonde réflexion autour des grandes réformes.
- Nous invitons les autorités à tout mettre en œuvre pour poursuivre le chantier entamé lors du Dialogue national inclusif en travaillant à l’élargissement de la base sociale et politique des recommandations issues du DNI.
- Nous voulons un Mali prospère, avec des institutions fortes dans une démocratie apaisée. Pour cela, nous invitons, tous les acteurs à s’inscrire dans un effort collectif et réaliste. Certes, cette démarche volontariste, impliquera et demandera parfois des décisions douloureuses, mais nécessaires pour l’avenir des générations futures.
- Nous soutenons la forme républicaine, citoyenne et laïque de l’État malien.
Pour une sortie durable de la crise sécuritaire, socio-politique et économique, nous nous inscrivons dans le temps, à moyen et long terme et formulons les recommandations suivantes :
- La mise en place d’un gouvernement de résultats : Nous sommes disponibles pour aider à l’évaluation, à soutenir l’identification et la mise en œuvre de projets pertinents à impact direct sur les populations ;
- La mise en œuvre d’une politique ambitieuse de réforme territoriale, une régionalisation poussée afin d’enclencher un véritable processus de développement humain et économique. Nous pourrons également y contribuer ;
- La progression en compétences, la formation globale et permanente des agents administratifs dans le but de permettre au pays d’atteindre des résultats importants. Nous marquons notre disponibilité à accompagner ce processus ;
Quant aux dispositions purement politiques et juridiques, nous nous gardons d’intervenir au regard de notre position. Ce que nous pouvons envisager c’est d’ouvrir un champ de réflexion sur les futures réformes institutionnelles à les mener pour éviter au Mali de retomber dans une situation d’insurrection et de défiance.
Nous appelons à la préservation de la démocratie et au renforcement des institutions au service des Maliens !
- Aïda Jaafar, Secrétaire Générale de l’ADECA, Association pour le Dialogue l’Engagement Citoyen en Afrique (ADECA), ancienne élue municipale en charge des questions de sécurité
- Boubacar Salif Traoré, Directeur du cabinet Afriglob Conseil, spécialisé sur les questions de développement dans le Sahel
- Baba Dakono, Chercheur
- Bekaye Sylla, Risque manager
- Bokar Sangaré, Journaliste indépendant
- Djeneba Keïta, Adjointe déléguée à la vie économique, à l’économie sociale et solidaire, à l’emploi et à l’insertion
- Ibrahim Maïga, Chercheur
- Mohamed Maïga, Ingénieur des politiques sociales, intervenant sur les politiques socio-économiques de territoire