Des militaires ont arrêté les chefs de l’Etat et du gouvernement de transition maliens installés suite au coup d’Etat militaire d’août 2020. Dans ce Q&A (Question & Answers), l’expert de Crisis Group Jean-Hervé Jezequel détaille les retombées possibles de ce second putsch dans un pays déjà fragilisé par le conflit avec les jihadistes.
Que sait-on de ce coup d’Etat au Mali, le second en neuf mois ?
Le lundi 24 mai, le président de la transition Bah N’Daw, son Premier ministre Moctar Ouane et quelques autres responsables maliens ont été arrêtés et conduits au camp militaire de Kati, près de Bamako. Cette arrestation a été décidée peu après la nomination d’un nouveau gouvernement, dont la composition a été âprement négociée pendant plus d’une semaine mais dans lequel ne figuraient plus les colonels Sadio Camara et Modibo Koné, respectivement ministres de la Défense et de la Sécurité. Ces deux officiers de la garde nationale sont aussi membres dirigeants de l’ex-Comité National de Salut du Peuple (CNSP), le groupe à l’origine du coup d’État du 18 août 2020 et officiellement dissous en janvier 2021.
Le lendemain, le colonel Assimi Goïta, chef de l’ex-CNSP et actuel vice-président de la transition, a fait lire un communiqué à la télévision nationale dans lequel il annonce « placer hors de leurs prérogatives » le président et son Premier ministre. Il les accuse d’incompétence et surtout d’avoir constitué un nouveau gouvernement sans le consulter – ce qui est peu probable étant donné la durée des négociations pour former le gouvernement – violant ainsi la charte de la transition, un texte adopté en septembre 2020 qui lui donne des prérogatives en matière de défense et de sécurité. Cette même charte invoquée par le colonel Goïta ne lui donne pourtant aucun pouvoir de suspendre le président ou le Premier ministre. A ce titre, le coup de force des militaires de l’ex-CNSP est bien une tentative de coup d’Etat pour reprendre le contrôle d’une transition en train de leur échapper.
Ces derniers jours, les relations s’étaient tendues entre, d’une part, les anciens putschistes et, d’autre part, le président Bah N’Daw, lui-même ancien militaire à la retraite, et Moctar Ouane, son Premier ministre. Ces derniers avaient l’intention de mettre en place un gouvernement plus inclusif, pour construire une union plus forte autour de la transition sur fond de tensions sociales dans le pays, et notamment d’une grève générale décrétée par la principale union syndicale du pays. N’Daw et Ouane ont également saisi cette occasion pour tenter de réduire la forte influence que les militaires de l’ex-CNSP avaient établie sur les institutions de transition et qui, selon plusieurs sources consultées par Crisis Group, limitait considérablement les marges de manœuvre du chef de gouvernement.
« Le Mali donne parfois l’impression d’un inquiétant retour à la case départ. »
Ces tensions entre autorités civiles de transition et ex-putschistes rappellent étrangement l’éviction forcée du Premier ministre Cheick Modibo Diarra en décembre 2012 par des putschistes quelques mois après leur coup d’Etat contre le président Touré. Les militaires de l’ex-CNSP, que des officiels occidentaux décrivaient il y a encore quelques mois comme des « officiers éclairés », ne se comportent finalement pas mieux que les sous-officiers ayant pris le pouvoir en 2012. Le Mali donne parfois l’impression d’un inquiétant retour à la case départ.
Quels sont les risques pour le Mali ?
En août 2020, la destitution du président élu Ibrahim Boubacar Keïta (IBK) par le CNSP avait suscité très peu de violences, en grande partie parce que le régime était épuisé et que le départ d’IBK a été accueilli avec un certain soulagement par une large partie de la population après des semaines de manifestations populaires. Cette fois, il s’agit d’une confiscation du pouvoir par des militaires dont l’action bénéficie d’un bien moindre soutien populaire. Des rumeurs font état de tensions au sein de l’armée, où ce “coup dans le coup” ne fait pas l’unanimité. Jusqu’ici les casernes restent tranquilles, mais on ne peut écarter le risque de combats fratricides entre forces de sécurité, comme ce fut le cas après le coup d’Etat de mars 2012. Par ailleurs, il n’y a pour le moment pas de mobilisation de la société civile dans la rue pour défendre les autorités suspendues, mais plusieurs associations, partis politiques et personnalités se sont publiquement prononcées pour exiger leur libération. A l’inverse, peu d’organisations maliennes ont exprimé un soutien en faveur de l’action des militaires. Beaucoup, comme la Coordination des mouvements, associations et sympathisant (CMAS) de l’influent imam Mahmoud Dicko, réservent encore leur jugement ou mènent d’intenses négociations avec les miliaires de l’ex-CNSP, sans doute dans l’espoir d’obtenir des positions d‘influence dans un éventuel prochain gouvernement.
En effet, si la démission forcée de N’Daw et Ouane le 26 mai se confirme, les militaires de l’ex-CNSP vont maintenant vouloir consolider leur coup en faisant nommer un nouveau Premier ministre et un nouveau président de la transition. Ils pourraient trouver un chef du gouvernement au sein du Mouvement du 5 juin-Rassemblement des forces patriotiques (M5-RFP), une coalition hétéroclite de partis et d’associations qui a joué un rôle clé dans le renversement du président Keita mais avait ensuite été divisé et marginalisé par le CNSP au moment de la création des institutions de transition. Ils comptent sur une telle alliance avec des forces politiques maliennes pour convaincre les acteurs internationaux de les laisser poursuivre la transition. Le vice-président, dans une tentative d’amadouer les acteurs internationaux, a d’ailleurs annoncé après l’arrestation du président qu’il comptait toujours terminer la transition en respectant le calendrier négocié avec la Communauté économique des Etats d’Afrique de l’Ouest (Cedeao) en septembre 2020.
« Quelle que soit l’issue des évènements actuels, cette nouvelle crise met à jour l’absence d’une coalition forte soutenant l’action de la transition et notamment son ambition déclarée de réformer le système politique malien. »
Les jours qui viennent vont donc être déterminants et une situation de blocage politique durable est l’un des scénarios envisageables. Mais quelle que soit l’issue des évènements actuels, cette nouvelle crise met à jour l’absence d’une coalition forte soutenant l’action de la transition et notamment son ambition déclarée de réformer le système politique malien. C’est là l’élément peut-être le plus inquiétant : après avoir traversé toutes ces crises, le Mali ne sait toujours pas quelles forces politiques sont capables de porter le changement dont le pays a besoin.
Quelles ont été les réactions internationales ?
La condamnation internationale est forte et jusqu’ici unanime. Les principaux partenaires de la transition du Mali, la Cedeao, l’Union africaine, la Mission des Nations unies au Mali (Minusma), la France, l’Union européenne et les États-Unis, ont rejeté cette tentative de coup d’Etat. Les militaires de l’ex-CNSP s’y attendaient sans doute mais ils ont pris le risque, estimant peut-être que les même acteurs internationaux qui ont laissé une junte militaire s’installer récemment au pouvoir au Tchad après la mort du président Idriss Déby, finiront également par composer avec eux comme ils l’ont d’ailleurs fait en août dernier.
« Les partenaires internationaux du Mali savent cependant que les outils de pression dont ils disposent sont à double tranchant. »
Une mission de la Cedeao est déjà arrivée à Bamako pour rencontrer les différents protagonistes et tenter de dénouer cette crise. Les partenaires internationaux du Mali savent cependant que les outils de pression dont ils disposent sont à double tranchant. Comme en août 2020, la Cedeao pourrait suspendre le Mali de ses institutions et imposer des sanctions économiques qui pèsent sur les décideurs maliens. Mais ces mesures frappent aussi la population malienne, au risque d’aggraver les tensions internes et même de nourrir un sentiment de rejet des partenaires du Mali. L’an passé, ces sanctions avaient permis d’arracher d’importants compromis aux militaires du CNSP, mais sans les écarter de l’exercice réel du pouvoir. Des sanctions internationales ciblées sur les responsables du coup d’Etat pourraient aussi être adoptées, mais elles sont peu susceptibles d’avoir un impact à court terme et pourraient même entrainer la suspension des programmes de collaboration avec les autorités maliennes si les personnalités sanctionnées se maintiennent au pouvoir. Cette suspension possible des programmes de collaboration était déjà la hantise de nombreux bailleurs de fonds suite au putsch d’août 2020.
Les acteurs internationaux devraient continuer à refuser la confiscation du pouvoir par les militaires de l’ex-CNSP et faire pression pour que le pays renoue avec un pouvoir civil qui n’en soit pas l’otage. Ils ne peuvent cependant peser que s’ils restent unis. En août 2020, certains partenaires du Mali avaient trop précocement envoyé aux militaires le signal qu’ils pourraient garder une influence déterminante sur la conduite des affaires du pays.
Les partenaires internationaux ont aujourd’hui deux options principales, dont aucune n’est sans risque : soit, ils restent fermes sur les principes et exigent le retour en fonction du président N’Daw et du Premier ministre Ouane, dont la démission a été obtenue manifestement sous la contrainte. Cette position de fermeté engendrera une situation de confrontation avec l’ex-CNSP et un blocage politique à l’issue incertaine, mais elle offrira plus de chance d’enrayer durablement la mainmise préjudiciable d’un groupe de militaires sur le pouvoir au Mali.
L’autre option est de condamner les arrestations et d’appeler au retour, dans les plus brefs délais, d’une transition civile mais sans exiger le retour en fonction du président et du premier ministre. Cela ouvre la porte à des négociations avec la junte pour réinstaller des autorités civiles. Mais, comme en août dernier, l’ex-CNSP pourrait en profiter pour mettre en place l’apparence d’une autorité civile tout en conservant la réalité du pouvoir, au risque de reproduire les mêmes effets dans un proche avenir. C’est cette option que le Conseil de sécurité des Nations unies semble suivre dans son communiqué du 26 mai. Si le reste des partenaires, et notamment la Cedeao, suivent également cette option, il faudrait cette fois assortir les négociations avec les militaires de dispositions permettant de réduire plus efficacement la part d’influence politique qu’ils conserveront afin que les autorités civiles n’en soient plus l’otage. Dans les deux cas, l’efficacité des pressions internationales dépendra aussi de leur capacité à s’articuler à un mouvement intérieur de refus du coup de force qui pour l’instant tarde à prendre de l’ampleur.
Cette instabilité politique peut-elle peser sur le conflit avec les jihadistes ?
« Ces crises à répétition entament la crédibilité de l’Etat malien, déjà confronté aux insurrections de plusieurs groupes armés sur son territoire. »
Ces crises à répétition entament la crédibilité de l’Etat malien, déjà confronté aux insurrections de plusieurs groupes armés sur son territoire. Pour les populations qui vivent dans des zones en état d’insurrection, le retour ou le déploiement d’un État englué dans des querelles intestines à Bamako est un scénario de plus en plus improbable. Cela donne de l’espace aux jihadistes et à d’autres groupes armés qui se présentent de fait comme des alternatives durables à l’autorité d’un Etat absent. Par ailleurs, on ne peut écarter non plus que cette nouvelle crise entame la confiance déjà très fragile dans l’accord de paix inter-malien, signé en 2015 mais dont les principales dispositions en matière de sécurité et de décentralisation n’ont toujours pas été mises en place. Si on félicitait il y a quelques mois les autorités de transition pour avoir développé de meilleures relations que leurs prédécesseurs avec les groupes armés signataires, en particulier ceux de la Coordination des mouvements de l’Azawad, la crise actuelle à Bamako pourrait convaincre certains de ces mêmes signataires que rester dans le giron d’un Etat malade et incapable d’honorer ses engagements n’est pas la meilleure solution. Ces tensions pourraient d’autant plus se développer que le M5-RFP, dont un des dirigeants pourrait former le prochain gouvernement à l’appel des militaires de l’ex-CNSP, intègre des personnalités connues pour leur hostilité à l’accord de paix de 2015.
Jean-Hervé Jezequel
Cet article a d’abord été publié sur le site de l’International Crisis Group (ICG)
Les points de vue exprimés dans l’article sont ceux de l’auteur et ne reflètent pas nécessairement ceux de Sahelien.com