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Ménaka : Barkhane à l’épreuve des terroristes

Dans le nord-est du Mali, dans la région de Ménaka, la force française Barkhane est particulièrement active depuis plus d’une année. En lutte contre les groupes armés terroristes, dont ceux du groupe Etat islamique au grand Sahara, Barkhane est mise à l’épreuve, malgré son arsenal et le nombre de terroristes tués ou capturés

« En 2018, nous avons pu neutraliser pas mal de terroristes. Nous leur avons porté des coups, repoussé la menace. Nous savons que l’ennemi peut toujours faire du mal mais c’est sans commune mesure avec la situation d’il y a deux ans », disait le général Blachon, commandant de la force Barkhane, le 25 février à Ménaka, lors d’une visite de terrain. Bien qu’il se réjouisse des résultats obtenus, le commandant de la force antiterroriste est conscient de la résilience de ces groupes armés au Sahel.

Le dimanche 10 mars, à 90 kilomètres au sud-ouest de la ville de Ménaka et à environ trois kilomètres de la frontière avec le Niger, les forces françaises subissent une attaque des groupes armés terroristes. C’était dans la mi-journée. L’incursion a fait deux blessés dans les rangs de la force française. Le véhicule-suicide avait été stoppé à quelques  « trente mètres des militaires de Barkhane » par des tirs, avant d’exploser, provoquant un bruit retentissant dans toute la zone.

Immédiatement, plus d’une dizaine de combattants terroristes supposés appartenir au groupe Etat islamique au grand Sahara (EIGS) d’Abou Walid  al-Sahraoui, évoluant sur des motos  se sont acharnés sur la position française avec des tirs. Mais les soldats les ont repoussés avant l’arrivée des Mirage 2000, dix minutes seulement après cette attaque qualifiée de « complexe ».

Mais dans une zone devenue leur somptuaire, ces combattants se sont repliés dans la nature. C’est d’ailleurs, pour réduire leur emprise sur cet espace poreux que la force Barkhane s’implante de façon provisoire à des endroits stratégiques. Le porte-parole de l’état-major a d’ailleurs affirmé, il y a quelques jours, cette volonté de harceler ces groupes redoutables. « On va dans cette zone sciemment, pour leur contester le terrain et éviter qu’ils s’y implantent ou s’y réimplantent », disait le colonel Patrik Steiger. Alors que les forces armées maliennes se réinstallent à Anderamboukane, ville frontalière à Tchintibaraden du Niger, les éléments d’Abou Walid multiplient les attaques pour empêcher toute présence des forces régaliennes et internationales. La coalition MSA/GATIA, alliée des Forces armées maliennes (FAMa) et Barkhane n’est pas non plus épargnée par les incursions meurtrières des terroristes.

Toutefois, la présence des FAMa, (absentes dans cette région depuis quelques années) est saluée. « Toute force qui vient pour la sécurisation des populations et de leurs biens est la bienvenue. Parce que c’est une zone vaste et nous savons que  personne à elle seule ne peut se prévaloir de pouvoir sécuriser toutes ces populations et leurs biens », fait savoir un membre de la coalition MSA/GATIA. « Nous les accueillons à bras ouvert et nous espérons faire de notre mieux pour les aider dans leur tâche », ajoute-t-il, sans plus de détails. La couverture de cette sphère pourrait avoir des effets positifs sur la sécurité des populations et leurs revenus économiques. « Quand le poste d’Anderamboukane sera fait, c’est tout le lien avec le Niger qui sera renforcé  et dès qu’il y a le lien, ce sont les échanges commerciaux qui vont reprendre et la vie des populations s’améliorer », avait indiqué le commandant le force Barkhane, lors d’une conférence de presse conjointe avec le gouverneur de la région de Ménaka en fin février.

Pour Mahamadou Savadogo, spécialiste des questions de l’extrémisme violent et de la radicalisation au Sahel, la forte présence annoncée de l’armée malienne à Anderamboukane engendrerait  un  déménagement de  certains éléments du groupe Etat islamique (EI) vers le Burkina. « Cela leur permettra de faire un mouvement de replis dans les pays les plus exposés  comme le Burkina Faso. Toutes les forces burkinabè sont concentrées dans l’est de notre pays, ce qui fait que du côté frontière du nord, c’est-à-dire le Sahel et puis côté frontière avec le Niger et le Mali, il n’y a presque pas d’opération », explique cet analyste burkinabé au Centre de recherche action pour le développement et la démocratie (CRADD). Selon lui, ces groupes terroristes « jouent avec la géographie et les stratégies mises en place par ces différentes forces » qui les combattent.

Une lutte sans fin ?

Dans cette région du Liptako, les éléments affiliés à l’état islamique au grand Sahara (EIGS) sont présents tout le long de la frontière entre le Niger et le Mali. Ce n’est pas la première fois qu’ils attaquent avec un véhicule piégé, les militaires de la force Barkhane. Le 11 janvier 2018, une camionnette bourrée d’explosifs a visé une patrouille de Barkhane entre Ménaka et Indélimane, occasionnant des graves blessures à trois soldats de la mission. Une attaque revendiquée plus tard par le Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans(GSIM), piloté par Iyad Ag Ghaly.

Des pratiques audacieuses qui révèlent la résilience de ces groupes et leur engagement à s’opposer aux forces en présence. Pourtant, le Commandant de la force s’était montré galvanisé par les coups qu’ils ont portés à ces groupes au cours de l’année 2018. « Ce qui est important aujourd’hui, c’est que la peur  a changé de camp. Quand les terroristes peuvent venir à tout moment commettre leurs exactions et savoir qu’il n’y aura pas le moindre prix à payer, cela leur donnent confiance, mais aujourd’hui, la confiance a changé de camp », note le général Blachon. Il ajoute que « l’objectif est dans un premier temps qu’ils déposent les armes, et qu’ensuite qu’ils comprennent que le combat est inutile et que les populations aspirent à la paix ».

Un message que ces différents groupes armés n’entendent point. Leur ancrage local et la maîtrise du terrain leur offrent des avantages précieux dans ces zones où la vie est difficile. « Pendant l’année 2018, ils ont accentué leur compétences et ont eu beaucoup d’assurance. C’est une zone qu’ils maîtrisent très bien, et même s’ils attaquent, ils savent vers où se replier. Ils montrent que ce territoire leur appartient », analyse le chercheur Mahamadou Savadogo. Il souligne l’absence criarde de coordination entre les différentes forces régionales dans la lutte contre le phénomène. « Et ce qui est encore plus frappant, c’est qu’il n’y a pas de coordination entre les différentes forces, aucun dispositif  des autres côtés des frontières pour  recueillir ces groupes armés terroristes quand ils font ces genres d’attaques », regrette-t-il.

Sources : EMA Droits : Ministère de la Défense

Et de poursuivre : « on se demande si Barkhane arrive à atteindre les têtes de ces groupes ou bien ce sont les petits délinquants ou partisans qu’elle cible. Parce que l’EI devient de plus en plus puissant », juge Mahamadou Savadogo. Aussi bien au Mali, au Niger qu’au Burkina et même au Tchad, les  groupes armés terroristes grossissent leur rang avec des jeunes locaux. Ils invitent les communautés à leurs causes, le tout, dans une pédagogie de rejet des Etats et leurs alliés occidentaux.

« On parle de terrorisme communautaire depuis 2018, parce que les terroristes  se basent sur des communautés  pour faire véhiculer leur message et avec la finalité de les radicaliser », indique le chercheur, pour qui la lutte sera très longue. « Barkhane le sait déjà. C’est pour cela que  tout est en train de se faire pour rendre opérationnelle le G5 Sahel, pour que cette force se retire progressivement ». Il poursuit en affirmant que « Barkhane n’est plus dans cette logique de détruire carrément le terrorisme, que ce soit au Mali, au Niger ou au Burkina, mais elle veut juste affaiblir ces groupes terroristes et qu’après, les gouvernants puissent prendre le relais, soit pour terminer le travail, soit pour négocier dans certains cas », révèle-t-il. Mais la critique de l’opération n’est pas que locale.

En France aussi, certaines voix sont abondent dans le même sens. « Je suis assez critique sur cette opération-là. Sur le principe, l’opération Serval de janvier 2013 était une excellente opération. C’est-à-dire qu’il fallait empêcher les différents groupes djihadistes réunis de déferler vers le Sud et éventuellement vers Bamako. Le problème, c’est que la France a cru ensuite distinguer des bons et des mauvais groupes armés. Certains étaient perçus comme politiques et d’autres étaient perçus comme terroristes », disait sur RFI, l’ex-ambassadeur de France au Mali, Nicolas Normand, le 14 mars dernier.

Quelle alternative ?

De spécialistes et chercheurs en sécurité estiment que ‘’le tout sécuritaire’’ ne pourrait jamais gagner les guerres. C’est pour cela d’ailleurs que le G5 Sahel entend se focaliser sur la lutte contre le terrorisme et la mise en œuvre des projets phares de développement. Dans le Sahel et au Mali en particulier, la force Barkhane semble tomber dans un bourbier à issue compliquée.  « La solution n’est pas militaire avec cette nouvelle stratégie des groupes. Ce qui peut se faire, c’est d’aller au dialogue ou faire passer le message contraire qui se passe au sein des communautés », soutient M. Savadogo. Si certains combattants rejoignent ces groupes de leur gré, certains jeunes le font à cause des problèmes sociaux et l’absence de perspectives réelles dans leur pays.

Pour Nicolas Normand, il ne s’agit plus de traiter militairement les questions et ensuite apporter du développement, mais d’explorer une autre  approche de renforcement de l’Etat et de bonne gouvernance. « Il faut traiter le problème de la fragilité de l’Etat et de ses services fiscaux. Parce que, sans fiscalité, évidemment, on ne peut pas payer une armée, une police, une justice et ni une éducation nationale », indique-t-il. Dans cette guerre contre le terrorisme, conquérir les populations est devenu un enjeu aussi bien pour les djihadistes que pour les Etats.

C’est pourquoi Mahamadou Savadogo invite à la prise en compte de cette dimension sociale communautaire. « Il faut faire un diagnostic  dans ces communautés et voir réellement quels sont  les  problèmes  qu’elles vivent et qui les amènent à se radicaliser et ensuite les résoudre. Cela est possible à moyen et long terme », propose le spécialiste.

A. Touré