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Niger : à Arlit, « l’exploitation artisanale de l’or avec le cyanure doit être plus surveillée »

Le traitement artisanal de l’or à Arlit, dans le nord du Niger, soulève d’importantes préoccupations environnementales et sanitaires en raison de l’utilisation intensive du cyanure. Dans le pays, les réglementations en vigueur interdisent l’utilisation de certains produits chimiques dans le traitement de l’or sans autorisation du ministère de l’environnement.

A Arlit, à plus de 1000 kilomètres de la capitale, il existe un centre de traitement artisanal d’or créée en 2016, appelé Gidan Daka (en haoussa) ou maison de concassage en français. Ce centre, situé à une dizaine de kilomètres de la ville, est codirigé par la mairie et le ministère départemental des mines et de l’énergie. Il regroupe 1605 orpailleurs de plusieurs nationalités, d’après le Plan d’action national pour l’extraction artisanale et à petite échelle de l’or au Niger. Le site abrite plusieurs garages où s’effectue le broyage des minerais. Une autre partie clôturée par les grillages est dédiée à la séparation de l’or à travers des produits chimiques.

Selon Hamza Ibrahim, travailleur au centre, « les activités minières se déroulent en deux étapes principales : le broyage des minerais, qui permet d’obtenir une poudre et la séparation de l’or, qui fait appel à des techniques de gravimétrie et de cyanuration. »

Boues issues de sluice stockées pour la cyanuration

La première méthode fait appel à un dispositif qu’on appelle sluice permettant de laver le minerai ramolli avec de l’eau sur une rampe recouverte d’un tapis ou d’une moquette. Le but c’est de récupérer la boue qui contient l’or et la mélanger ensuite avec du mercure. Ce procédé qu’on appelle amalgamation permet d’obtenir un concentré d’or pur.

Tandis que la méthode dite de cyanuration se concentre plus sur le résidu de la méthode d’amalgamation. A Gidan Daka, la phase de cyanuration se fait sur des chantiers distants du garage de ramollissement des minerais. Cette étape consiste à creuser des bassins recouverts d’une bâche dans lesquels les boues, le cyanure et quelques produits chimiques sont mélangés.

Le précieux métal qu’est l’or est donc obtenu après la cyanuration. Un artisan interrogé sur place indique qu’« à la phase de cyanuration, il dissout dans l’eau, 14 à 15 gobelets de cyanure. » Ce qui explique que le dosage du produit lors de cette étape se fonde sur les estimations et non sur la base d’un calcul bien précis.

Grand bassin de cyanuration

Des impacts sur la santé…

Pour obtenir le métal jaune, les orpailleurs utilisent donc le cyanure pour dissoudre l’or afin de le séparer des autres métaux présents dans les minerais. Mais dans ce traitement artisanal, l’utilisation du cyanure soulève de vives inquiétudes dans les domaines sanitaire et environnemental.

Sur la fiche des données de sécurité du producteur et fournisseur de produits chimiques dont la cyanure, Thommen-Furler, basé en Suisse, il est mentionné que  le cyanure est « mortel par ingestion, par contact cutané ou par inhalation. » Il est également « très toxique pour les organismes aquatiques, entraîne des effets néfastes à long terme. »

Dans son mémoire de Master de spécialisation en sciences et gestion de l’environnement dans les pays en voie de développement, Abdou Amadou Sanoussi explique que « l’exposition au cyanure d’hydrogène peut causer des troubles neurologiques notamment des vertiges, des confusions, des céphalées et peut rapidement conduire à la mort en cas d’intoxication aiguë. » Et d’ajouter que « le contact dermique peut entrainer une irritation de la peau et es vapeurs du cyanure d’hydrogène peuvent, quant à elles, entrainer une irritation oculaire. »

Au cours de notre visite à Gidan Daka, les artisans rencontrés ne portent pas d’équipements de protection, ce qui les expose à des troubles sanitaires. Bassirou Sanoussi, un jeune orpailleur témoigne que « le cyanure a déjà causé la mort de plusieurs personnes. Dès que la personne inhale sa vapeur, elle peut carrément perdre connaissance, voire la vie. » Nos tentatives pour avoir accès aux données sur les orpailleurs qui ont été admis à l’hôpital de district d’Arlit sont restées vaines.  

Selon les infos recueillies au centre de traitement artisanal d’or, la plupart des orpailleurs ne restent pas longtemps sur place, ce qui ne permet pas de constater sur le lieu, les effets à long terme du cyanure sur leur santé. « Lorsque les artisans trouvent leur compte, ils décident de retourner chez eux pour profiter de leurs gains », indique un artisan.

Dans la ville, les fûts contenant le produit toxique, une fois vidés, sont vendus et utilisés par des ménages. « Ces tonneaux sont réutilisés pour faire du barbecue, des poubelles ou bien des récipients pour nettoyer les mains pour les buvettes », déclare un habitant de la ville d’Arlit.

Sur l’environnement…

L’artisan Bassirou Sanoussi témoigne qu’« une partie des eaux issues de la cyanuration sont déversées dans la nature. » Du fait de sa nocivité, cette pratique détruit l’environnement. puisqu’« il provoque immédiatement l’asphyxie de tout organisme vivant et un violent déséquilibre des écosystèmes », explique un agent des eaux et forêts.

Et de poursuivre que s’il « arrive à contaminer la nappe phréatique, sa consommation devient alors très dangereuse pour la santé des êtres vivants. »

L’ONG Aghriman est l’une des organisations de la société civile qui milite pour la préservation de l’environnement au niveau des sites miniers. Selon son secrétaire général, Ramma  Rilatifet, «  les dégâts les plus significatifs qu’on a vus, c’est la pollution des sols. C’est un produit toxique et si on ne prend pas des dispositions, il peut atteindre les nappes fossiles. »

Bassin de récupération de l’or après la cyanuration

Pour conserver les eaux usées sans permettre à ces dernières de pénétrer le sol, l’acteur de la société civile souligne qu’il existe qui consiste à « bétonner les bassins ou se fait la cyanuration. Après, on les recouvre d’un plastique qu’on appelle liner, généralement utilisée dans les sociétés minières. » « Si les conditions sont respectées, il n’y aura pas d’infiltration du cyanure dans le sol, parce qu’il a une durée de vie de plus de 30 à 50 ans », a-t-il fait savoir.

Mais au niveau de Gidan Daka, nous avons constaté que les bassins de cyanuration ne sont pas bétonnés. A part les grands bassins, les petits bassins qui sont d’ailleurs les plus nombreux ne sont pas couverts de plastique pour empêcher les eaux usées d’infiltrer le sol.

Non-respect des procédures

Sur la base de la loi n°98-56 du 29 décembre 1998 portant loi cadre relative à la gestion de l’environnement qui fixe le cadre juridique général et les principes fondamentaux de la gestion de l’environnement au Niger, l’acquisition, le transport et l’utilisation des produits chimiques doivent obtenir un agrément de la part du ministère de l’environnement.

À la suite de cette demande, une équipe d’inspection du ministère de l’environnement « se rend sur les lieux pour vérifier la conformité de l’installation avec la réglementation en vigueur et évaluer les risques potentiels liés à l’utilisation du produit chimique. Le certificat de conformité, s’il est délivré, viendra compléter le dossier de demande d’agrément », précise l’agent des eaux et forêts.

Malgré les textes qui définissent l’acquisition, le transport et l’utilisation des produits chimiques, le cyanure est accessible dans des boutiques à Arlit au prix moyen de 70.000 FCFA, le fût.

Fûts de cyanure après usage

Interrogation

Dans leur article intitulé régulation de l’orpaillage au Niger : le site de Koma Bangou a l’épreuve des faits, Abdoulaye Seydou et Djafarou Boubacar Zanguina, tous enseignants chercheurs à l’université Abdou Moumouni de Niamey ont soulevé une confusion qui règne dans les ministères de l’environnement et celui des mines et de l’énergie.

Dans cet article, les auteurs soulignent que « le ministère de l’environnement prône l’interdiction de la vente et de l’utilisation de certains produits chimiques tels que le cyanure sur l’ensemble du territoire du pays. Ainsi, tout orpailleur désirant exploiter l’or de manière artisanale doit veiller au respect de ces normes. De son côté, le ministère des mines délivre des autorisations aux orpailleurs pour le traitement de l’or par cyanuration. »

Une incompréhension, d’après les propos d’un agent des eaux et forêts rapportés par les deux co-auteurs : « Je n’arrive pas à comprendre comment nous interdisons la vente et l’utilisation du cyanure sur les sites d’orpaillage et le ministère des mines donne des autorisations pour la pratique de la cyanuration, ce n’est pas logique. C’est le ministère des mines le problème, c’est comme si on est dans deux pays différents. »

Le secrétaire général de l’ONG Agrhiman déplore le fait que les orpailleurs ne soient pas sensibles aux dangers. « Les exploitants miniers cherchent de l’argent et ne veulent pas qu’on s’approche d’eux pour des histoires des sensibilisations qui peuvent les empêcher d’utiliser un produit qui est utile pour leurs activités. »

« L’exploitation artisanale de l’or avec le cyanure doit être plus surveillée… »

Selon Ramma Rilatifet, « l’exploitation artisanale de l’or avec le cyanure doit être plus surveillée. Les autorités doivent veiller à ce que les règles qui régissent l’utilisation de ce produit soient strictement respectées. Le cyanure est importé au vu et au su des autorités puisqu’il y’ a une fiscalité qu’elles prennent sur son importation. La question est de savoir qui l’importe ?  Est-ce que ceux qui l’importent l’utilisent de manière régulée », a-t-il conclu.

L’utilisation du cyanure à Gidan Daka menace la santé et l’environnement à Arlit, une ville déjà meurtrie par la présence de millions de tonnes de déchets uranifères. Dans ledit centre, il n’y a pas que le cyanure qui est utilisé dans le traitement de l’or. On peut citer le mercure, l’acide nitrique et l’acide sulfurique, tous nocifs à la santé et à l’environnement.

Ismail Abdoulaye Naoumani