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Pr. Clément Dembélé : « La corruption et l’impunité freinent le développement du Mali »

Interview avec le Président de la Plateforme de lutte contre la corruption et le chômage (PCC).

Sahelien.com : Pourquoi une Plateforme de lutte contre la corruption et le chômage au Mali ?

Pr. Clément Dembélé : La Plateforme est née de la volonté des hommes et femmes maliens partant d’un certain nombre de constats : les problèmes d’infrastructures au Mali, de santé, de chômage, d’électricité. Bref le problème du développement du Mali est lié à deux facteurs : la corruption et l’impunité. Depuis quelques années, nous sommes en réflexion, en analyse de la situation parce qu’avant de commencer ce combat, ça nécessitait un travail intellectuel, des investigations que nous avons menées. Nous avons travaillé sur des rapports qui existaient depuis 1990 notamment sur la corruption au Mali. Finalement nous sommes arrivés en février 2019 à créer cette plateforme composée aujourd’hui de 362 associations en réseau, partout au Mali et à l’étranger pour que nous puissions faire face à la lutte contre la corruption.

Comment comptez-vous mener la lutte ?

L’objectif est en deux grands axes dont le premier est composé de quatre volets. Il y a l’information parce qu’on suppose que lutter contre la corruption c’est aussi informer le peuple, donner des informations de proximité. Quand les gens ne connaissent pas leurs droits et devoirs, c’est plus facile qu’ils soient vulnérables. Pour éviter la vulnérabilité au peuple, il faut leur donner l’information. Bientôt nous allons créer notre radio et webtélé. Au-delà de l’information, il y a aussi la formation. On part aussi sur le principe que juridiquement, on naît citoyen mais philosophiquement et psychologiquement, on devient un citoyen. Donc le Malien, ce n’est finalement pas celui qui est né avec une carte d’identité ou un  parent malien. Le Malien, c’est quelqu’un qui aime le Mali, le Malien c’est toute nationalité qui investit au Mali, qui veut sauver le Malien. L’éducation populaire sonne naissance à la citoyenneté et au civisme. Donc nous allons prendre le volet formation : formation de proximité en créant des écoles de populaires citoyennes. Le troisième volet dans l’axe N°1, c’est la sensibilisation en donnant un sens à l’action de lutte contre la corruption et au chômage. Enfin on arrive à la mobilisation.

« Le Mali est en manque de volonté politique »

Le deuxième axe, c’est celui de l’innovation, c’est de voir dans quelle mesure, il faut faire appliquer les lois qui existent déjà parce que le Mali n’est pas en manque de lois contre la corruption ni en manque d’institutions. Le Mali est en manque de volonté politique. Dans l’axe d’innovation, il faut aussi créer les outils de lutte contre la corruption. Ça passe par la digitalisation de notre système de gestion administrative, financière et judiciaire. Il faut informatiser le système. Il faut former les magistrats, les agents de police, les agents administratifs. Il faut créer une clinique juridique pour que les gens qui sont victimes de la corruption, de malversation financière peuvent venir se faire assister. Il faut créer des numéros verts juridiques pour que quand un paysan se trouve à des centaines de kilomètres de Bamako puissent appeler s’il a un problème avec la justice et demander conseil. Pour l’éducation des enfants, nous sommes en train de créer des bandes dessinées, des jeux vidéo où le héros est un héros anti-corruption. Les enfants auront comme modèle de référence le héros qui ne cède pas à la tentation. L’objectif, c’est d’arriver à donner naissance à la révolution des consciences parce que le Mali a fait la révolution des indépendances en 1960. En 1991, nous avons fait la révolution des démocraties. Maintenant, il faut arriver à la révolution des consciences, c’est-à-dire, donner naissance à un type de Malien est capable de résister à la tentation, de dire non à la corruption, capable de se lever pour revendiquer son droit et d’accomplir son devoir, ça s’appelle la révolution citoyenne.

Qui finance vos activités ?

Aujourd’hui, nous avons de jeunes informaticiens qui sont prêts à nous accompagner. L’idée des BD, c’est des jeunes qui l’ont amenée. Pour les jeux vidéo, c’est un groupe de jeunes qui nous a contacté pour nous accompagner. Quand on prend les meetings que nous organisons, ce sont les cartes que nous vendons, ce sont des cotisations que nous faisons entre nous, parce qu’on ne prend pas l’argent avec des politiciens, ni des ONG. On veut avancer avec le peuple malien avec les moyens qu’on a parce que nous pensons que le peuple malien est souverain et c’est lui qui doit faire ce combat. Le problème du Mali, c’est nous les Maliens et c’est aux Maliens de le régler. On ne dépend d’aucune aide. Aujourd’hui, il n’y a personne, aucune structure n’a donné un centime. La Plateforme vit avec les cotisations des membres. Certains donnent 5.000 francs, 10.000 F, 1000 F, 300 F, 200F. Il y a des jeunes diplômés sans emplois qui donnent. Tout à l’heure, je viens de quitter le siège, il y a un jeune qui est venu à bord de sa « Katakani » (tricycle, ndlr). Il nous a remis 500 F. On a pris ses coordonnées, on lui a demandé de signer parce qu’on veut que les archives témoignent un jour. Ça n’a été donné par aucun homme politique ni un parti ou encore l’Etat malien. Ça vient tout simplement des citoyens maliens qui ont pris conscience qu’il faut qu’on soit ensemble pour lutter contre ça. Ce matin, certains ont proposé leur groupe électrogène  pour les meetings. Vous voyez comment on fonctionne. Demain déjà, il y a une « Sotrama » qui a été donnée par quelqu’un. Le véhicule doit tourner dans le quartier avec le micro de quelqu’un d’autre ainsi que du carburant mis à disposition également par une personne pour annoncer le meeting.

Etes-vous présents uniquement à Bamako pour vos manifestations?

Actuellement, nous sommes presque dans toutes les régions du Mali. Heureusement, nous sommes présents à Kidal parce qu’on a trouvé un point focal. Il est en train de mettre en place, le comité d’action. A l’étranger, nous sommes présents au Congo, au Gabon, en France, etc. Nous allons bientôt faire une tournée nationale à l’intérieur du pays notamment Kayes, Kita, Ségou, Sikasso, Koutiala ainsi qu’à l’extérieur du pays.

Quels sont vos rapports avec les autorités ?

Nous tenons à remercier les autorités maliennes parce que jusqu’à présent, on ne nous a pas interdit de faire nos meetings et sit-in. Il faut dire qu’il y a le respect des principes de la démocratie. On a fait nos sit-in devant l’OCLEI, ainsi qu’à la place de l’indépendance. On ne nous a jamais empêchés. Les forces de l’ordre sont envoyées pour encadrer les manifestations.

Qu’en est-il de la plainte collective contre les hauts fonctionnaires ?

Nous avons déposé la plainte contre 8.000 fonctionnaires maliens qui ont refusé de déclarer leurs biens. C’est l’OCLEI (Office central de lutte contre l’enrichissement illicite, ndlr) qui nous a donné les chiffres. La loi du 27 mai 2014 prévoit une liste. Il n’y a pas que les fonctionnaires. Selon l’article 35 de cette loi, il y a même des maires, des conseillers municipaux, des députés, les présidents des institutions. Tous ceux qui sont gestionnaires, ordonnateurs du bien public doivent déclarer leurs biens. Ils sont au nombre de 8000. Depuis 2014, la loi n’a pas été appliquée. Nous supposons que c’est un scandale national de voir que les gens qui gèrent nos biens publics se refusent de déclarer leurs biens. C’est comme ça qu’on a porté plainte contre 8000 fonctionnaires. M. Arizo Maïga qui est le procureur général nous a répondu, il y a quelques jours. Il dit que le problème, c’est qu’il n’y a pas de nom. Il a besoin qu’on mette les noms sur chacun afin d’engager la procédure pénale et de radiation. Pour avoir le nom de ces 8000 là, c’est l’OCLEI de Moumouni Guindo qui doit faire son travail. Le procureur mentionne tout dans sa lettre en citant des articles.

Propos recueillis par Sory Kondo et Augustin K. Fodou