Bamako, juillet 2016. Créé au début du mois, réunissant une quarantaine d’associations de jeunes sans emploi, le collectif « Bi-Ton » mène la mobilisation avec comme slogan « IBK, nos 200 00 emplois ». Allusion faite à la promesse de campagne faite par le Président Keïta à Kayes, en 2013, en pleine campagne électorale.
« Mon objectif est de créer au moins 200 000 emplois en 5 ans. Je ne veux pas être un marchand de rêve en me lançant dans des surenchères électoralistes. Je serai un président qui tient ses promesses. Je le dis, je le ferai ! 200 000 emplois, c’est déjà un objectif ambitieux, très ambitieux. Mais il est réaliste et réalisable », avait alors dit le candidat du Rassemblement pour le Mali (RPM), Ibrahim Boubacar Keïta, dans le stade Abdoulaye Makoro Sissoko.
Le meeting que le collectif avait prévu d’organiser le 23 juillet au Stade Mamadou Konaté pour réclamer les 200 000 emplois, est annulé pour des « raisons sécuritaires ». Un an après, alors que le gouvernement a annoncé que les 200 000 emplois promis ont été atteints à plus de 99%, le collectif contre-attaque et lance un appel à la résistance dans les villages et les villes. Une rencontre est prévue le 14 octobre au palais de la culture sis à Badalabougou. Son président, Sega Diarrah, spécialiste en sciences politiques, répond aux questions de Sahelien.com. Il nous parle des raisons qui sous-tendent cet appel à la résistance, de ce que le collectif reproche au régime d’Ibrahim Boubacar Keïta et à l’opposition politique.
Sahelien.com : A quoi appelez-vous à résister ?
Sega Diarrah : Notre résistance laisse entrevoir une lutte entre le désir conscient de changer la courbe du chômage au Mali et les forces inconscientes qui font obstacle à ce but.
Pourquoi cet appel à la résistance maintenant ?
La situation de la jeunesse malienne est de plus en plus préoccupante (précarité, éducation de mauvaise qualité et non disponible…). Le nombre de candidats maliens à l’immigration clandestine n’a jamais atteint les proportions que nous connaissons aujourd’hui. Nous assistons au déclin du Mali. Les enfants ne vont plus à l’école dans la région de Mopti, et dans beaucoup d’autres cercles. Le népotisme est devenu la règle pendant les concours de recrutement dans les entreprises d’Etat. L’administration publique est prise en otage par des sexagénaires, tous membres d’un clan. L’horizon est bouché pour la jeunesse malienne. La défaite est-elle définitive ? Sommes-nous condamnés ? Non. Si l’histoire est un éternel recommencement, nous vivons une situation similaire à celle de la veille de l’indépendance du Mali dans les années 60. C’est donc face à l’urgence de la situation que nous avons décidé d’allumer cette flamme de la résistance le 14 octobre.
Comme vous le dites dans votre appel, en quoi la responsabilité du régime d’Ibrahim Boubacar Keïta est écrasante dans la situation actuelle du Mali, quand on sait qu’il n’est là que depuis seulement 4 ans ?
Depuis bientôt deux ans, notre mouvement ne cesse d’attirer l’attention des pouvoirs publics sur l’urgence de faire face au chômage de masse des jeunes et à la précarité de cette dernière. Le taux de scolarisation des enfants est passé de 89% en 2011 à 79% en 2015 selon l’UNESCO. Le taux d’échec et d’abandon suit une courbe vertigineuse. Nous avons effectué le diagnostic et publié un livre sur les problèmes des jeunes avec des propositions concrètes. Nous avons demandé au gouvernement, en 2016, l’organisation des états généraux du chômage des jeunes sans succès.
« L’amateurisme dans l’organisation du Baccalauréat de 2017 notamment dans la région de Koulikoro est la preuve que nous ne sommes pas entre de bonnes mains ».
Pendant deux (2) ans, le gouvernement nous a toujours répondu par le déni, le mépris. Le dernier en date est la semaine de l’emploi au Mali. Pendant le mois de septembre 2017, nous avons voulu créer une passerelle entre les demandeurs d’emploi et les entreprises maliennes à travers l’organisation d’une semaine dédiée à l’emploi. Après avoir réuni plus de 60 entreprises et enregistré quelques 14 000 participants, nous avons adressé une demande de partenariat au ministère de l’Emploi et de la Formation professionnelle afin d’impliquer les services chargés de la promotion de l’emploi au Mali. Cette semaine de l’emploi était prévue pour commencer à partir du 29 septembre. Cette initiative était une opportunité unique pour permettre aux jeunes des milieux défavorisés d’avoir un accès direct à nos entreprises. Malgré nos multiples relances et sollicitations, le ministre de l’Emploi et de la Formation professionnelle n’a jamais voulu nous rencontrer.
A notre grande surprise, le ministre a contacté toutes les entreprises invitées pour notre semaine de l’emploi afin d’organiser sa semaine de l’emploi à la même adresse (Palais des sports), trois (3) jours avant le début de celle que nous organisons. Malgré que nous n’ayons pas trouvé cette attitude responsable de la part d’un ministre de la République, nous avons demandé à nos membres d’aller à la rencontre des entreprises. A notre grande surprise, cet évènement était en réalité un écran de fumée. Les stands étaient vides et il n’y avait presque aucun demandeur d’emploi sur les lieux. Face à cette attitude, et à l’escroquerie politique qui consiste à dire que le gouvernement a créé 200 000 emplois, notamment 106 000 emplois dans la fonction publique d’Etat en 04 ans alors que l’ensemble des fonctionnaires Maliens, au 31 décembre 2015, est estimé à 120 000 salariés. Nous avons compris que le gouvernement n’a aucune volonté de faire face au chômage. Le régime actuel est coupable de la baisse de la qualité dans notre système scolaire. Il n’a jusqu’ici présenté aucune politique claire d’éducation établie en cohérence avec le marché de l’emploi. L’amateurisme dans l’organisation du Baccalauréat de 2017 notamment dans la région de Koulikoro est la preuve que nous ne sommes pas entre de bonnes mains.
… « dans le Mali d’aujourd’hui, ce n’est pas le contenant qui pose problème, mais plutôt le contenu ».
Vous écrivez aussi que les « opposants officiels » ne critiquent IBK que sur la forme. Que reprochez-vous à l’opposition politique ?
Ce que nous reprochons à l’opposition « officielle » est de ne pas contester le fond. L’opposition ne dénonce que les personnes et leurs pratiques c’est-à-dire la forme. Alors que dans le Mali d’aujourd’hui, ce n’est pas le contenant qui pose problème, mais plutôt le contenu.
En quoi cet appel à la résistance est différent des idéaux défendus par d’autres organisations de la société civile au Mali ?
Nous adhérons aux idéaux de toutes les organisations de la société civile qui luttent pour le développement et l’émancipation du Mali. C’est pour cela, nous les invitons tous à nous rejoindre. Pour être efficace, la résistance doit s’unifier. Notre lutte n’est pas une question d’Homme ou de groupe, mais une lutte d’idées. C’est pourquoi nos positions ne sont pas à prendre ou à laisser, mais elles sont à discuter. Le Mali a tout pour réussir.
Par Sidi Ahmed S.