Depuis plus de trois ans, le pays fait face à de nombreuses menaces terroristes. Dans le mois d’avril, elles se sont intensifiées dans le nord assiégé par des hommes armés faisant plusieurs dizaines de morts et de nombreux déplacés.
La partie nord du Burkina Faso, proche de la frontière malienne, est la cible d’attaques terroristes aux origines diverses. Les conflits qui existaient depuis la nuit des temps sont essentiellement liés au foncier et à la chefferie coutumière. Les conflits entre agriculteurs et éleveurs sont récurrents surtout en période hivernale.
Durant les trois dernières années, le groupe Ansaroul Islam du prédicateur radical, Maalam Ibrahim Dicko, s’est installé dans la province du Soum. Il prône le djihad et s’attaque aux autres membres de la communauté musulmane et toutes les confessions religieuses qui n’adhèrent pas à sa cause.
Au départ, ce sont les élus locaux et les symboles de l’État qui sont attaqués, des militaires tués et du matériel emporté. Les enseignants ont abandonné les classes. Plus de 1200 établissements scolaires ont fermé, 5032 enseignants affectés et 154.235 élèves dont 46,6 % de filles dans la rue en 2019, selon le ministre de l’Education nationale, Stanislas Ouaro.
Depuis lors, la situation se complique de jour en jour. En avril dernier, les attaques ont pris une proportion encore plus inquiétante. C’est la première fois qu’une église est attaquée à Silgadji faisant 5 morts dont le pasteur. Ensuite à Kongonssi à 100km entre Djibo et Ouagadougou. La dernière fois, c’était une église de Toulfé, dans le nord, à 50km de Ouahigouya, qui est attaquée faisant 3 morts et une dizaine de blessés. Plus de 15 véhicules enlevés entre avril et juin, dans le nord, entre Kongoussi, Arbinda et Mentao.
Peur sur Djibo
Dans la ville de Djibo, les populations sont terrées dans leurs maisons à partir de 19 h, à cause du couvre-feu qui débute de 20h à 6h du matin. « Ma femme est décédée dans mes bras à 23h. Je ne savais pas comment l’amener à l’hôpital à cause du couvre-feu. Si tu sors, tu es mort », nous confie Moussa Tamboura.
Très souvent, des corps en putréfaction jonchent les sentiers des campagnes. Pas un seul jour sans qu’il n’y ait une attaque, malgré la présence des militaires dans la zone. Tous les chefs coutumiers ont quitté la zone ainsi que les maires des 09 communes.
Arbinda est située à 91 km à l’est de Djibo. La ville est inaccessible depuis plus de deux mois. Elle a été assiégée par les terroristes. Les 170.000 habitants des 47 villages sont concentrés dans le centre. Les terroristes fouillent les véhicules, enlèvent des gens et les abattent parfois. Le 8 juin dernier, 03 camions transportant des vivres qui venaient de Dori ont été brûlés par des hommes armés, un des chauffeurs égorgé. Pour le maire d’Arbinda, Werem Boureima, il faut une sécurisation définitive de la zone.
L’armée pointée du doigt
Sur le terrain, la collaboration entre l’armée et la population est mise à rude épreuve depuis le début. Ceux qui sont soupçonnés de fournir des renseignements aux militaires sont des cibles. À cela s’ajoutent, les abus des forces de défense et de sécurité (FDS) dans la lutte antiterroriste, selon Human Rights Watch (HRW).
Cissé Amadou, un habitant de Kourfael, un village rattaché à Djibo indique que son père a été exécuté par les militaires sur son lieu de travail. Il explique : « des soldats sont venus faire le constat d’un cadavre habillé en tenue militaire. Le cadavre était piégé et l’explosion a tué un infirmier militaire. C’était à 200 mètres de l’antenne d’un réseau de téléphonie mobile que mon père gardait. Ils l’ont amené et nous n’avons plus eu de ses nouvelles. Deux mois après, un membre de la famille a retrouvé son corps en décomposition dans la brousse. Il l’a reconnu par ses habits. J’ai inhumé les restes de mon père ».
D’après des témoignages recueillis sur place, plusieurs jeunes ont rejoint les rangs des terroristes à cause de cette situation. Certains ont abandonné leurs études à l’Université pour « venger » la mort d’un parent ou d’un proche. A. D. a souhaité gardé l’anonymat. Cet étudiant accuse également les FDS d’avoir abattu son frère. Un autre est porté disparu. « Il était tout pour moi et je ne sais plus à qui me confier pour continuer mes études. Je suis perturbé, je ne sais même plus comment bosser« , s’inquiète-t-il.
Les fils d’un conseiller municipal de Koutougou se sont faits enrôlés dans les groupes djihadistes, après que leur père a été tué. Un des fils du défunt a servi au commissariat de police de Djibo, comme volontaire pendant deux ans, avant de quitter pour se retourner contre ses anciens collaborateurs.
Pendant ce temps, l’opération Doofu ou « déraciner » en langue peule continue dans la zone. « La menace pèse encore et c’est bientôt l’hivernage », craint Amadou Maïga, un habitant de Barboule. « Nous ne pourrons pas cultiver nos champs et nos enfants ne font rien. Comment allons-nous trouver à manger ? », s’interroge-t-il. Et d’ajouter : « Les élèves en classe d’examen ne pourront pas composer. Même dans la ville de Djibo, les écoles sont fermées depuis le début du 3e trimestre. » La seule banque qui se trouve à Djibo a fermé ses portes depuis le mois d’avril. Auparavant, c’est le personnel du tribunal de grande instance de Djibo qui a rejoint Ouagadougou.
De nombreux déplacés
Entre 2016 et 2019, les conflits inter religieux et ethniques se sont intensifiés avec l’avènement du terrorisme faisant plus de 1000 morts, 170.000 déplacés , et des dégâts matériels importants. Le nord du Burkina et le Sahel sont les zones les plus touchées. A Beleganygué dans la commune de Kelbo, à Foubé et Barsalogho dans le centre-nord, ce sont près de 30.000 déplacés repartis dans des sites et les ménages d’accueil qui ont fui les zones de conflits.
L’intensification des attaques d’hommes armés toujours non identifiés dans la ville d’Arbinda a occasionné plus de 20.000 déplacés dont 15000 sur le site de Foubé. Nos tentatives de rencontrer les occupants du site des déplacés sont restées infructueuses. Au moment où nous étions en discussion avec les responsables, une alerte venue d’Arbinda faisait était de 19 morts dans une attaque, alors que 17 km séparent Arbinda de Foubé. Nous avons alors progressé à Barsalogho, où nous avons rencontré les déplacés suite aux attaques survenues à Yirgou, début janvier, faisant 70 morts, selon le gouvernement.
En rappel, le 31 décembre 2018 le chef du village de Yirgou ainsi que 5 membres de sa famille ont été abattus par un commando armé. Les populations du village accompagnées par le groupe d’autodéfense Koglweogo, s’en sont pris à la communauté peule de la localité. Elle est accusée de protéger les assaillants qui ont tué le chef du village et les membres de sa famille, tous des Mossis.
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Depuis lors, les survivants sont installés sur le site de Barsalogho. Nous sommes allés à leur rencontre le 10 juin dernier. Selon eux, toutes les promesses tenues par le gouvernement et le Dima de Boussouma sont restées sans suite. En plus, ils disent toujours être persécutés par les Koglweogo et l’armée. « Quand l’évènement tragique de Yirgou a eu lieu, le président Roch est venu devant chez moi, je lui ai tout dit. Il a promis d’envoyer les militaires. Depuis que les militaires sont arrivés, les tueries ne font que continuer, les hommes fuient leur maison la journée pour revenir la nuit. Dans les marchés et dans les concessions, ils fouillent pour chercher des hommes pour aller abattre>>, nous confie, Alou Diallo qui se présente comme le chef de la communauté sur le site des déplacés.
Le 09 février dernier, le Dima Sonré de Boussouma, l’un des cinq plus grands chefs Mossis du Burkina a initié une journée du pardon et de réconciliation entre les communautés (peule et Mossis) à Barsalogho. Une délégation des autorités coutumières et religieuses est allée à Yirgou afin d’inviter les populations à l’unité, au pardon, à la tolérance et à la réconciliation.
De Barsalogho à Korko, en passant par Foubé, les leaders coutumiers et religieux ont prié pour la paix au Burkina. Mais quatre mois après, la situation n’a pas changé. Dicko Boukari, 78 ans, affirme que « depuis le passage du Roi de Boussouma, les choses vont de mal en pis. Les Koglweogo ont enlevé deux jeunes sur le site des déplacés et les ont abattus rien que le 10 juin dernier« .
D’une voix mélancolique, la gorge sèche, Diallo Mariama Abdoul Karim n’a pas fini de pleurer la mort de son papa « Mon père a été arrêté par les Koglweogo de Arma. Ils l’ont blessé et abandonné dans la brousse. Nous l’avons retrouvé après deux nuits. Nous l’avons amené à Barsalogho où il a rendu l’âme ». C’était le 4 juin dernier, quatre pensionnaires du site, tous des hommes, ont été exécutés à quelques encablures du camp des déplacés. Le 4e a succombé à ses blessures après son évacuation à Ouagadougou.
Sur le site, les agents de santé ne sont pas permanents. La journée du 12 juin, il n’y avait personne pour la consultation. En notre présence, Hassan Dicko ne cache pas son inquiétude et son indignation. « Le site est assez vaste pour qu’aucun n’infirmier ne dorme ici. Même s’ils ne dorment pas ici, qu’ils passent toute la journée ici. Avant-hier, un de nos enfants a eu fracture parce qu’il est allé enlever des feuilles pour la sauce. Actuellement il est à Kaya pour des soins. On nous a interdit d’aller hors du site, et si quelqu’un tombe malade ici, en l’absence des infirmiers ? On nous a dit également que notre sécurité ne sera garantie que lorsque nous sommes à l’intérieur du camp ».
Lors d’une rencontre avec les forces vives du Soum, des associations ont envisagé une série d’activités pour trouver une issue à la crise. Le secrétaire général du réseau a, par ailleurs, demandé l’implication du gouvernement.
A. K.
*Réalisé avec le soutien du Programme Sahel de IMS, financé par DANIDA