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Niger: Sur la route nationale 1, les réfugiés fuyant Boko Haram s’installent pour durer

Mariam a dix ans, une petite voix fluette et de jolies tresses. Mais la petite fille a le regard usé, triste, un peu vide. Il y a un an, quand cette petite peule est rentrée au campement de ses parents après des courses au village, elle n’a trouvé que la désolation. Boko Haram venait de passer. « Ils ont tous été tués, mon papa, ma maman… ».

Le chef du village voisin a cherché des membres de sa famille pour la prendre en charge. Sans succès. Il a finalement confié l’orpheline qui pleurait sans cesse à une vieille femme, une connaissance de son père. Et, ensemble, elles ont pris la route du Niger, jusqu’à atterrir au campement de Kitchendji. Là, elle profite d’un Diap, un dispositif d’appui pyschosocial. Elle joue avec d’autres enfants. Ça la soulage un peu : « Il y a des jeux qui m’aident à oublier, mais il y a certaines choses que je ne peux oublier ».

Kitchendji est l’un des nombreux sites où vivent des déplacés et réfugiés dans la région de Diffa, au sud-est du Niger, près du lac Tchad, à la frontière nigériane. Ils jalonnent la route nationale 1. Dans cette région, la « route de l’unité » construite une dizaine d’années après l’indépendance pour relier la capitale, Niamey, aux rives du lac Tchad, est devenue la « route des réfugiés ».

Plusieurs jeunes froidement abattus

Ils ont fui les exactions de Boko Haram qui harcèle notamment les villages frontaliers. Assaga est l’un d’eux. Mahamadou Aboubacar Joy, le frère du chef de ce village, se souvient : « C’était pendant le ramadan, après le maghrib (prière du soir) ». La nuit était tombée. « Ils ont encerclé le village avec des véhicules et sont entrés dedans. Ils ont pénétré dans ma concession et ils m’ont demandé où étaient mon véhicule, mon argent, mes biens. Je leur ai répondu que je n’avais rien, sauf ma boutique », explique le jeune homme de 25 ans. Il a été regroupé dans la mosquée avec les autres jeunes hommes qui se sont fait prendre. Les insurgés ont aligné un groupe de dix jeunes. Ils ont ouvert le feu sur les hommes qui étaient allongés. « Alors tout le monde s’est levé et a couru dans tous les sens. Certains ont été abattus à la porte, d’autres sur place, d’autres se sont cachés, d’autres encore ont réussi à fuir vers le Niger ».

Finalement, Boko Haram a décampé dans la nuit, quand les forces de sécurité nigériennes sont intervenues, selon le jeune homme. Et au lever du jour les villageois restés sur place ont enterré leurs morts dans une fosse commune. « Douze personnes ont été tuées et huit autres blessées, dont moi », dit-il, en montrant la cicatrice laissée par une balle dans son flanc. Après cette nuit-là, tout le village a trouvé refuge de l’autre côté de la frontière, au Niger.

Les témoignages des réfugiés se ressemblent tous : l’attaque d’une localité par des insurgés de Boko Haram, les tirs, la violence, la peur, la fuite… « Les hommes, les maris, ils les tuent. Les femmes, elles, ils les gardent, car pour eux, c’est d’abord leur butin de guerre », rapporte Halima Issa Lamido, qui a été faite prisonnière par Boko Haram, dans la ville de Damasak.

Boko Haram a deux façons d’enrôler les enfants

Quant aux enfants, ils sont nombreux à être enrôlés. Que ce soit par la promesse d’une vie meilleure ou par la force. Selon l’Unicef, le nombre d’enfants impliqués dans des « attaques-suicides » dans la région du lac Tchad a plus que décuplé en 2015. De quatre enfants utilisés dans des « attaques-suicides » en 2014, 44 auraient été envoyés à la mort l’année suivante dans des actions menées au Nigeria, au Cameroun, au Niger et au Tchad. Parmi ces enfants, plus de 75 % étaient des filles.

Pendant qu’elle était détenue, Halima Issa Lamido a été battue alors qu’elle venait d’accoucher. « Ils prennent les femmes. Certaines, pour les marier de force. D’autres, ils font des choses avec elles ». Elle dit avoir eu de la « chance ». Elle a réussi à s’échapper. Une partie des femmes capturées a été emmenée par Boko Haram. Depuis, personne n’a eu de nouvelles d’elles, selon Halima Issa Lamido. D’après une enquête de Human Rights Watch, complétée par l’AFP, 500 femmes et enfants ont été enlevés à Damasak. Plus qu’au lycée de Chibok, où le rapt de 276 jeunes filles avait soulevé l’opinion internationale quelques mois plus tôt.

Près de 140.000 réfugiés à Diffa

A Diffa, aux réfugiés nigérians, s’ajoutent des retournés (des Nigériens qui vivaient au Nigeria) et surtout de nombreux déplacés internes. En tout, selon le HCR, près de 140 000 réfugiés vivent dans cette partie du Niger et environ autant de déplacés. En février 2015, Boko Haram a attaqué frontalement le Niger. Niamey a alors évacué les îles du lac Tchad pour mieux en chasser Boko Haram. De plus, de nombreux villages nigériens situés sur la rive nord de la Komadougou Yobé, la rivière qui marque la frontière naturelle entre le Niger et le Nigeria, ont fui préventivement. Ils se sont repliés le long de la RN1 qui longe en retrait la frontière. Entre 100.000 et 150.000 personnes vivraient réparties sur 35 sites le long de 120 km de goudron. Un gage de sécurité : la route garantit une intervention rapide en cas d’attaque.

Mais, dans les sites de réfugiés et de déplacés, la suspicion couve. « On ne sait pas qui est qui », glisse un instituteur dans un campement regroupant plusieurs villages. « Les gens ne veulent pas s’exprimer en public », reprend l’enseignant qui en veut aux opérateurs téléphoniques qui n’exigent pas d’identification à l’achat des puces pour les téléphones portables. « On peut parler de quelque chose et une personne assise peut se lever, prendre son téléphone et prévenir discrètement : ‘untel a appelé les militaires pour vous tuer’. Il va dire où untel dort et en pleine nuit, quand tu es en train de te reposer, on peut venir te tuer froidement ».

Car plus d’un an après les premières attaques au Niger, Boko Haram est toujours là. Mais la guerre a changé de visage. Plus de bataille rangée. Boko Haram frappe par surprise, tend des embuscades, envoie des kamikazes sur les militaires ou dans des foules, tue nuitamment les informateurs des autorités et entretient un réseau d’espions parmi les populations. « Il y a eu des attentats suicides, cela créé de la psychose. Mais globalement, on considère qu’à défaut d’avoir la paix et la sécurité totalement, la situation est sous contrôle », explique Hassan Ardo Ido, secrétaire général du gouvernorat de Diffa. Une guerre larvée, impossible à étouffer totalement, car « la rive nigériane de la Komadougou, qui sert de frontière entre le Niger et le Nigeria n’est pas occupée par les forces nigérianes. Sur l’autre rive, nous avons des terroristes qui sont maîtres du terrain, qui prospèrent, qui font tout ce qu’ils veulent ». Pour lui, « la source du problème est juste à côté de nous ».

De plus, l’adversaire est organisé, coriace et connaît bien le terrain, puisqu’il compte dans ses rangs des Nigériens. Certes, dans Boko Haram, il y a, en « en grande majorité », des « jeunes qui peuvent être facilement manipulés » et constituent le gros des combattants. Mais on trouve aussi « des individus assez mûrs, qui sont capables de mettre en place une structure, un circuit d’approvisionnement, un système de collecte de renseignements », explique le secrétaire général.

Alors, il faut s’accommoder de cette situation et les populations ont dû s’écarter de la frontière. « Tous les Etats doivent être garants de l’intégrité de leur territoire, mais si cette intégrité doit passer par le sacrifice d’une partie de la population, ce serait raté. La priorité, c’est d’abord la sécurité d’une partie de la population », dit le haut fonctionnaire. Avec la saison sèche, la tâche est rendue plus difficile. Les cours d’eau sont au plus bas. La Komadougou Yobé ne fait plus obstacle aux insurgés venus du Nigeria et les attaques sont en recrudescence.

Aucune activité économique pour les exilés

Dans ce contexte d’insécurité, le retour paraît lointain. Sur les bords de la route, il n’y a pas beaucoup de perspectives, pratiquement aucune activité économique, mais les cases en paille s’agrandissent, cèdent la place à des cases en banco. « Les gens savent qu’ils vont rester un petit moment, car les rives de la Komadougou sont totalement insécurisées », dit Benoît Moreno, du HCR.

Et pour lui, la situation n’est pas prête de s’améliorer, car Boko Haram prospère sur la grande pauvreté qui sévit autour du lac Tchad. « La situation au Nigeria rend impossible un retour dans les prochaines années. La question, ce n’est pas uniquement Boko Haram, mais la pauvreté extrême qui nourrit Boko Haram. On voit tous les efforts au niveau militaire, mais il n’y a pas réellement d’efforts sur un plan socio-économique. Il n’y a pas d’efforts pour relever vraiment les états (nigérians, du nord-est) comme Borno, Adamawa… Si on veut sortir le lac Tchad de cette situation c’est un véritable plan Marshall pour lutter contre la pauvreté qu’il faut. Donc toutes ces personnes qui sont venues s’installer le long du goudron, on ne voit pas comment elles pourraient repartir s’installer dans leurs villages pour le moment ».

Pourtant, à Kitchendji, la petite Mariam a encore un rêve. « Je voudrais qu’on en termine avec les terroristes au Nigeria et qu’on me ramène là-bas. Je veux rentrer chez moi. »